La Tyrannie de Kaljoran
L’île volcanique de Kaljoran, appelée plus communément l’Ile Noire, est synonyme de cauchemar pour tous les enfants et les marins de Feralis. Les orcs qui y vivent, à la couleur de peau rouge avec tatouages noirs ou blancs, semblent possédés par une haine farouche des autres civilisations et leur livrent une guerre perpétuelle.
Les Kaljorans sont dirigés par huit tyrans, des sorciers qui ont vaincu la mort à l’aide de rituels sanglants. Les armoiries de la tyrannie sont formées d’un kraken noir à huit tentacules sur fond rouge, chaque tyran y ajoutant sa propre marque.
Génération après génération, ces nécromanciens entretiennent les frustrations du passé et élèvent leur peuple dans une colère sans fin. Les tyrans ont créé un impitoyable peuple de guerriers engagé dans une guerre perpétuelle : les orcs de l’île Noire ne tolèrent pas les visiteurs et pillent les rivages où leurs galères accostent. Les prisonniers sont réduits en esclavage et réanimés après leur mort pour grossir l’armée des nécromanciens.
Les autres nations n’ont jusqu’à maintenant pas trouvé de solution pour mettre un terme à la terreur de Kaljoran : l’île repousse toute tentative d’assaut et ses habitants sont imperméables à toute négociation. A l’aube d’un nouveau Maelstrom, les orcs de Kaljoran se préparent à un âge de conquête. Après s’être refusée à eux pendant si longtemps, Drakerys sera bientôt à leur merci.
Un soir, en Irosia...
« Finis vite tes épinards, vas au lit et arrête de répondre à ta mère, sinon les Kaljorans vont venir te manger ! »
« Je m’en moque, je n’ai même pas peur des Kaljorans. A l’académie, Tiburst m’a dit que ça n’existe pas et qu’Alexandre nous protège d’abord. »
« Qu’Ephaël t’entende mon enfant. Malheureusement, ton grand père peut te garantir que ce fléau existe bien. »
Le vieil homme, appuyé contre le manteau de la cheminée, passait son temps à réchauffer ses vieux os et à contempler le feu se consumer dans l’âtre. Les yeux dans le vide, son esprit semblait perdu.
« Ça y est, pépé va encore y aller de ses histoires incroyables… »
« C’était il y a 30 ans, tu n’étais même pas une idée de conception jeune avorton… Nous étions, ta grand-mère et moi, dans notre ancienne maison, sur la côte Est. Ha, elle était belle ta grand-mère, et jeune. »
L’ancêtre essuya nonchalamment son nez, puis ses yeux toujours aussi vides fixèrent le jeune insolant.
« Et vivante, on sait... »
« Oui vivante ! Enfin, avant que les démons débarquent. »
« Enfin, du croustillant dans ta fable papy. »
« Un peu de respect jeune écervelé, les Anges m’en soient témoins, ce sont bien des démons qui ont rasé notre village.
Je me souviens, ce moment juste avant que leurs hordes de morts débarquent, je me souviens de cette chape de silence qui s’était imposée à nous, la vie semblait retenir sa respiration. Ta grand-mère était brave, courageuse. Lorsqu’on a vu les premières créatures se ruer vers notre village, elle a observé quelques secondes cette vague de monstres sans peur, et elle a attrapé une fourche. Comme si nous pouvions faire quoi que ce soit contre la mort en marche. Elle était comme ça ta grand-mère, elle était belle et brave, une lumière face à la nuit qui s’avançait vers nous.
Je me souviens, tout est arrivé si vite. D’abord les esclaves mort-vivants, implacables, sans peur, sans pitié. Ils ont chargé sans crainte pour leur vie. Ils saignaient, ils mourraient, mais ils semblaient vouloir se libérer par leur mort. Sacrément redoutable comme adversaire, quand on en tuait un, un autre le remplaçait aussitôt.
Je me souviens, derrière, les démons rouges du Kraken, brutes guerrières, impitoyables. Enfin le Tyran et sa cour de sorciers, générateurs de morts, de feu, de sang et de frayeur.
Je me souviens, la garnison, venue en renfort, se battant honorablement. Mais que pouvait-elle bien faire ? Pour chaque tué, un mort se relevait et venait se battre contre ses anciens frères, tuer ses anciens parents, se nourrir de ses anciens enfants. »
Les yeux vitreux du vieil homme brillaient dans la lumière de l’âtre, des vestiges de larmes naissaient dans les coins de ses globes, vides de vie.
« Ho oui, je me souviens ! Maudits nécromanciens ! Maudits soient-ils pour avoir relevé mon amour. J’ai eu peur quand je l’ai vue tomber, et j’ai espéré quand je l’ai vue se relever. Elle s’est tournée vers moi, et je lui ai fait signe. Mais ma main est restée suspendue en l’air. Ce n’était plus elle, ce n’était plus les yeux de celle que j’avais aimée qui me fixaient à présent.
C’étaient des yeux vides, avides, affamés, où brulait une lumière rougeoyante venue des enfers.
Pour ne plus la voir, je contemplais le charnier qui naissait autour de moi : les quelques êtres immondes restés debout, aux mouvements saccadés, mécaniques, qui se jetaient sur leurs proies sans même craindre les armes que les soldats abattaient sur eux. Les suivants, des créatures du maelstrom, toutes de chitine et de crocs, se battant pour les restes et le bétail.
Je me souviens, les soldats de Kaljoran, ces orcs à la peau rouge et noire, massacraient avec facilité les quelques paquets de soldats qui réussissaient à tenir tête aux morts-vivants et aux bêtes du démon. Je voyais l’un d’eux, dans une armure d’obsidienne sur laquelle le sang qui perlait brillait comme des rubis, avançant au travers des lignes de la garnison, impitoyable, cisaillant bras et torses avec sa hache, ou écrasant un crâne à mains nues. »
Soupirs, silence. La famille entière était suspendue aux lèvres du vieillard.
« Je me souviens, le Tyran, terrible nécromancien, impassible. Il s’est approché, puis, d’un seul regard, m’a brûlé les yeux. J’aurais préféré qu’il le fasse plus tôt, car je n’aurais pas eu à les voir à l’œuvre, tuant, pillant, violant. Je l’entends encore, me chuchoter : nous avons assez de tes semblables, le cheptel est rassemblé. Vas, protège ta descendance, reconstruisez-vous, nous reviendrons en temps voulu.
Et ils sont partis, aussi vite qu’ils sont venus. Avec leur nouvelle horde d’esclaves fraichement asservis. »
Tels sont connus les orcs de Kaljoran. Ce peuple, mené par des Tyrans, redoutables guerriers nécromants, pouvant mener une armée d’esclaves plus ou moins morts. A l’apparence démoniaque, sans peurs, sans pitié. On dit qu’ils mangent leurs enfants afin de conserver leur jeunesse éternelle, qu’ils ont un pouvoir magique au-delà des limites du concevable. Nul être ne peut se vanter d’avoir abordé les côtes de l’île Noire et d’en être revenu vivant. Et bien peu, heureusement, en ont tout simplement croisé un.